15 juin 2006

Triste journée


Jean Roba 1930-2006

Décès du dernier géant de l'Ecole belge. Roba revendiquait sa naïveté et l'innocence de ses héros. Il ne voulait pas voir Boule et Bill mourir avec lui.

U n matin froid de 1955, un cocker noir égaré et transi avait trouvé refuge chez Jean Roba. Quatre ans plus tard, le cocker se transformera en héros de papier. Une histoire de coeur était née. Elle dure toujours. Boule, le petit garçon modèle, et Bill, le cocker farceur, ont fait entrer Roba dans la légende du journal Spirou et de l'École belge de la bande dessinée. Ce monde idéal à la poétique immuable apparaît aujourd'hui désuet devant les images de violence auxquelles les enfants sont soumis chaque jour. Pourtant le succès de Boule et Bill n'a jamais faibli. Roba avait un secret.

« Boule et Bill évoluent dans un univers heureux, idéalisé, nous disait-il en 2003. Parce qu'on ne fait pas rire les enfants ni les parents avec la guerre ou le chômage. À l'époque où j'ai débuté, c'était l'âge d'or de Spirou, de la bande dessinée belge tous publics, familiale, et catholique. Moi qui avais en horreur les histoires de Noël ! Les auteurs ne faisaient pas ce qu'ils voulaient. L'univers que j'ai créé date de cette époque, de la Belgique joyeuse. Boule et Bill en sont le reflet. Cela ne m'a pas empêché de dessiner des gags antiracistes, antifascistes, contre la violence à l'égard des enfants, de la nature, des animaux. Ce qui m'étonne, c'est que malgré tout ce que l'on peut voir aujourd'hui à la télé ou dans les jeux vidéos, Boule et Bill marche toujours bien. Alors que c'est un monde très personnel finalement. Je vais vous l'avouer : je suis le cocker ! C'est le personnage qui me ressemble le plus ».

Roba était trop modeste. Avec Boule et Bill, il a inventé le « family strip » à la belge. Il était né à Schaerbeek en 1930. Dans ses cahiers d'école, il dessinait la mer et les bateaux à l'envers mais les Beaux-arts de Bruxelles vont lui apprendre l'académisme. Roba sera formé à la décoration, la céramique, la mode... Son premier job sera de dessiner des vitraux. Il retouchera des photos, reproduira des tableaux de maîtres et réalisera une campagne de pub pour un savon, avant d'illustrer un premier conte de Noël dans le journal Spirou, puis de crayonner des histoires de l'Oncle Paul et un petit Sioux.

Le 12 novembre 1959, Boule et Bill naissent sous forme d'un puzzle-concours, suivi d'un mini-récit à plier soi-même : Boule et Bill contre les mini-requins. Un an plus tard, ils deviendront les vedettes inusables du gag en une planche. En 1962, Roba crée une autre série enfantine prometteuse, la Ribambelle, qui préfigure le métissage à l'école avec un sens de l'humour et de l'humanisme très personnel. Six albums paraîtront, avant que Roba ne mette la Ribambelle entre parenthèses.

« C'était un peu avant-gardiste avec des jeunes héros noirs ou japonais. Il y avait même une fille ! Mais je n'ai jamais aimé la contrainte de l'album en 46 planches, qu'on dessine en connaissant déjà la fin. Un gag de Boule et Bill, c'est comme un film de Fellini : quand ça commence, on ne sait pas où l'on va ».

Mais tandis que Boule et Bill refusaient de vieillir, Roba avait de plus en plus de mal à dessiner les petits oiseaux et la tortue. Il ne voulait pas s'arrêter par fidélité envers ses lecteurs : « Je leur dois d'avoir pu exercer le métier dont je rêvais. La réussite de Boule et Bill tient dans le partage du plaisir avec les lecteurs. Je leur ai prêté vie et je n'ai pas le droit de la leur retirer. Grâce à Laurent Verron, ils vont continuer d'évoluer. Moi j'ai désormais le cerveau trop fatigué pour ça ».

En 2003, Roba avait eu cette élégance rare de confier de son vivant ses héros à l'un de ses élèves, Laurent Verron. Il lui a laissé carte blanche pour qu'« il se sente heureux dans le dessin et avec les personnages ». C'était pour Roba la plus belle façon de rester fidèle à lui-même et à sa philosophie de vie. C'est un tout grand bonhomme qui nous a quittés mercredi.

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J'ai eu la chance de rencontrer ce grand monsieur de la BD et de passer un après-midi chez lui en Belgique en 1984. J'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi sympathique et généreux. Il était aussi d'une grande humilité. Nous venons de perdre le dernier Grand dessinateur de l'âge d'or de Spirou. Une bien triste journée en vérité...